Une comédienne célèbre enlève ses vêtements et ce sont des questions juridiques qui sont mises à nu …
Une comédienne célèbre enlève ses vêtements et ce sont des questions juridiques qui sont mises à nu …
Le mensuel Entrevue avait publié un article relatant les protestations manifestées par Arielle Dombasle, heurtée dans sa pudeur par des images illustrant le sujet de l’échangisme au cours d’une émission de télévision.
Le magazine pointait une contradiction entre cette attitude de l’actrice et son propre passé public. Ainsi, il publiait une photographie extraite du film Les fruits de la passion, présenté au Festival de Cannes en 1981, la représentant entièrement nue dans une scène à caractère érotique et commentait : « Arielle Dombasle a bon dos de s’offusquer des photos sur l’échangisme (…) à l’époque, plus téméraire et moins pudique, elle ne craignait pas de bousculer les âmes sensibles pour la bonne cause du 7ème art ».
Arielle Dombasle avait alors assigné le magazine, excipant de ce qu’elle estimait être une atteinte à l’intimité de sa vie privée et à son droit à l’image.
Le Tribunal de grande instance de Paris la déboute sur le plan de la vie privée. En revanche, il lui donne raison sur le plan de l’atteinte au droit à l’image. Il rejette l’invocation par la défenderesse de l’exception de courte citation, lesquelles sont autorisées par le Code de la propriété intellectuelle lorsqu’elles sont justifiées par un caractère « critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information » au motif notamment que « l’exercice de ce droit (…) ne saurait faire obstacle, s’agissant de la reproduction des traits d’une artiste interprète, à la nécessité de recueillir l’autorisation prévue par l’article 9 du Code civil ».
Le Tribunal reconnaît implicitement la licéité de principe de la citation d’une œuvre audiovisuelle par extraction d’une image (I), mais semble refuser toute portée pratique à cette faculté en faisant prévaloir le droit à l’image sur les dispositions du Code de la propriété intellectuelle (II).
I – La citation d’une œuvre audiovisuelle : le statut du photogramme
Pour écarter l’application de l’exception de courte citation en l’espèce, le jugement s’appuie sur des critères contingents, mais semble reconnaître le principe de la possibilité de citation d’une œuvre audiovisuelle par extraction d’une image. Ce faisant, il n’a pas soulevée la problématique au terme de: l’image extraite d’une œuvre audiovisuelle pourrait être en elle elle-même une œuvre distincte.
Une telle qualification aurait suffi à écarter d’emblée le droit de citation. En effet, une jurisprudence maintenant bien établie (par exemple au sujet de vignettes de bandes dessinées) refuse toute citation lorsque l’extrait est en lui-même une œuvre.
À l’époque, la doctrine émettait des réserves sur cette évolution, pointant qu’en l’absence de critère défini, à l’extrême toute citation pourrait apparaître comme la reproduction d’une œuvre.
Ces réflexions se trouvent d’ailleurs confortées par une jurisprudence récente au terme de laquelle un vers d’une chanson (en l’occurrence, « le soleil a rendez-vous avec la lune » extrait de la chanson le soleil et la lune de Charles Trenet) peut être, une œuvre en lui-même.
La problématique se pose a priori en d’autres termes en matière audiovisuelle. La qualification d’œuvre apparaît exclue pour un photogramme, c’est-à-dire l’image isolée d’un film. En effet, le cinéma est un art de rythme et de temporalité. Qualifier d’œuvre un photogramme, par nature simple image instantanée n’ayant aucune raison d’être sans celles qui le précèdent et qui le suivent, semble aussi incongru que d’accorder une telle qualification à une note isolée d’une composition musicale.
Un photogramme ne pourrait donc pas être une œuvre ? Cette évidence est trompeuse. Il s’agirait en effet d’une règle vidée de sa substance par de trop nombreuses et manifestes exceptions.
La création visuelle de la ville futuriste de Métropolis est emblématique de tout le cinéma expressionniste allemand et a inspiré l’architecture contemporaine. L’image du chevalier jouant aux échecs avec la Mort dans Le septième sceau est aussi puissante qu’un tableau. Tout le film est un développement de cette image.
En l’espèce, le droit de citer une image du film ne s’est finalement pas heurté à ce critère promis à l’obsolescence, mais à une prérogative concurrente : le droit à l’image des personnes physiques.
II – Le droit à l’image, une prérogative sans limite ?
Pour refuser le bénéfice de l’exception de courte citation au magazine Entrevue, le Tribunal considère « qu’en tout état de cause, l’exercice (du) droit de citation ne saurait faire obstacle, s’agissant de la reproduction des traits d’une artiste interprète, à la nécessité de recueillir l’autorisation prévue par l’article 9 du Code civil ». Le respect du droit à l’image des interprètes deviendrait ainsi, selon le Tribunal, prépondérant et prendrait, en particulier, le pas sur les droits spéciaux qui leur sont conférés par leur statut.
Pourtant, la Loi particulière doit prévaloir sur la Loi générale. Les dispositions générales relatives aux droits de la personnalité devraient s’effacer devant les dispositions spécifiques aux droits des artistes-interprètes. En principe, c’est uniquement à cette aune que devrait s’apprécier la licéité de la reproduction de photogrammes représentant des actrices nues
L’inversion de raisonnement opérée par le Tribunal semble d’autant plus regrettable que, si le choix de l’article 9 du Code civil est erroné, l’interprétation de son régime est en l’espèce discutable. En effet, le droit à l’image d’Arielle Dombasle aurait peut-être dû, in fine, s’effacer devant la liberté d’expression.
Comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt qui, par les hasards du calendrier, a été rendu deux jours après le jugement ici rapporté, « les droits au respect de la vie privée et à la liberté d’expression revêtant, eu égard aux articles 8 et 10 de la CEDH, et 9 du Code civil, une identique valeur normative, il est fait devoir au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. »
Selon nous, à supposer que le régime de l’article 9 du Code civil s’applique, les circonstances spécifiques de l’espèce auraient dû en faire un cas exceptionnel où, malgré la nudité de la personne représentée, le droit à l’image passe finalement au second plan.
Ainsi, la représentation d’Arielle Dombasle nue était l’illustration d’une polémique non dénuée de légitimité sur le passé cinématographique de cette actrice. Celle-ci avait tenu des propos outragés à l’occasion de la présentation de photographies sur l’échangisme au cours d’une émission de télévision. Cet incident avait entraîné le limogeage de la présentatrice et constituait le sujet d’un article polémique du magazine Entrevue.
L’argument finalement retenu pour écarter la liberté d’expression, et donc caractériser une atteinte au droit à l’image de l’actrice, est l’extraction, hors de son contexte, du photogramme incriminé.
Paradoxalement, c’est plus logiquement que l’application du droit des artistes-interprètes aurait conduit à la condamnation du magazine Entrevue. En effet, le droit de citation ne peut faire échec aux droits moraux de l’artiste-interprète et notamment au droit au respect de son interprétation. La réduction de la prestation d’une actrice à une image érotique constitue certainement, plus qu’une atteinte à ses droits de la personnalité, une atteinte à ses droits moraux d’artiste-interprète.
En somme, il aurait suffi d’une application très classique des critères du Code de la propriété intellectuelle pour condamner le magazine. Le Tribunal a procédé autrement en élevant le droit à l’image au rang de prérogative sans limite, s’appliquant « en tout état de cause », même en concurrence avec un droit incorporel plus adapté.
Au fond, ce jugement semble constituer l’ultime choc en retour de la « secousse tellurique» provoquée par le célèbre arrêt du Café Gondrée. La Cour de cassation avait jugé que l’exploitation d’un bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance de son propriétaire, considérant comme, au mieux, subsidiaire la question d’éventuels droits de propriété intellectuelle.
Le Tribunal de grande instance poursuit cette subsidiarisation des droits de propriété intellectuelle et des droits voisins en les écartant face à un droit de la personnalité. Droits incorporels contre droits incorporels, images contre images, la recherche d’équilibres est pourtant trop délicate pour se satisfaire d’arbitrages sans nuance.
Cette analyse est la version abrégée d’un commentaire plus détaillé, co-écrit par Alexandre-M BRAUN et Marie-Estelle TAUDOU, paru dans LEGIPRESSE, mensuel du droit de la communication de décembre 2003, sous le titre IMAGE CONTRE IMAGE: LE DROIT DE CITATION EN MATIERE AUDIOVISUELLE A L’EPREUVE DES DROITS DE LA PERSONNALITE