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Imane KHELIF contre J.K ROWLING et Elon MUSK : Knock Out ou shadow boxing ?

  • Imane KHELIF a porté plainte auprès du Procureur de la République, pour des faits qualifiés par la plainte de « cyberharcèlement aggravé ».

 

  • Le « cyberharcèlement » est prévu et réprimé par l’article 222-33-2 du Code pénal, qui prévoit :

 

Article 222-33-2-2

Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail.

L’infraction est également constituée :

a) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;

b) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.

Les faits mentionnés aux premier à quatrième alinéas sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende :

1° Lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ;

2° Lorsqu’ils ont été commis sur un mineur ;

3° Lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;

4° Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ; (souligné par nous)

4° bis Lorsqu’ils ont été commis sur le titulaire d’un mandat électif ;

5° Lorsqu’un mineur était présent et y a assisté.

Les faits mentionnés aux premier à quatrième alinéas sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsqu’ils sont commis dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 5°.

  • La circonstance aggravante visée par Imane KHELIF est sans doute celle de l’article 132-77 du Code pénal, qui prévoit que :

 

Article 132-77

Lorsqu’un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son sexe, son orientation sexuelle ou identité de genre vraie ou supposée, soit établissent que les faits ont été commis contre la victime pour l’une de ces raisons, le maximum de la peine privative de liberté encourue est relevé ainsi qu’il suit :

(…)

7° Il est porté au double lorsque l’infraction est punie de trois ans d’emprisonnement au plus.

Le présent article n’est pas applicable aux infractions prévues aux articles 222-13,222-33,225-1,225-4-13 et 432-7 du présent code, ou au huitième alinéa de l’article 24, au troisième alinéa de l’article 32 et au quatrième alinéa de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ni lorsque l’infraction est déjà aggravée soit parce qu’elle est commise par le conjoint, le concubin de la victime ou le partenaire lié à celle-ci par un pacte civil de solidarité, soit parce qu’elle est commise contre une personne afin de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union ou en raison de son refus de contracter ce mariage ou cette union

  • La peine encourue pour la qualification visée par la plainte est donc de quatre ans de prison (un an dans l’article 222-33-2-2, portée à deux ans par la circonstance aggravante numéro 4 (emploi d’un moyen de communication électronique) doublé par la circonstance aggravante de l’article 132-77). Attention, la peine encourue n’est qu’un maximum théorique, et en l’occurrence, même si des condamnations étaient prononcées pour harcèlement (hypothèse peu probable, voir ci-dessous), non seulement il est certain que ce maximum ne serait jamais atteint, mais il est même probable qu’aucune peine de prison ferme serait prononcée.

 

  • Il est important de comprendre que la plainte ne saisit pas un Tribunal, mais saisit le Parquet, qui pour le moment a diligenté une enquête, mais n’a pas saisi le Tribunal.

 

  • En outre, la Parquet n’est pas lié par la qualification des faits choisis par la plainte, et peut leur donner une autre qualification.

 

 

  • En l’occurrence, la qualification de « cyberharcèlement » choisie par Imane KHELIF est discutable : la jurisprudence vérifie constamment, pour caractériser cette infraction, que le comportement doit avoir eu « pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime se traduisant par une atteinte à sa santé physique ou mentale » (Voir notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 9 mai 2018, n° 17-83.623 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036947023)

 

  • L’ « objet » de dégradation des conditions de vie n’est probablement pas réuni. Cela correspondrait à l’idée que l’objectif des tweets litigieux était de dégrader les conditions de vie d’Imane KHELIF. Or, il pourrait certainement être soutenu que ces tweets avaient pour objet de créer une polémique -quelque que soit l’opinion que l’on ait de cette polémique- et non d’atteindre Imane KHELIF.

 

  • L’ « effet » de dégradation des conditions de vie correspondrait au résultat. Il ne peut sans doute pas être soutenu une atteinte à la santé physique et mentale juste après les tweets, compte-tenu du succès aux jeux olympiques. A voir si une telle dégradation à plus long terme peut être démontré, mais cela semble difficile.

 

  • Les autres qualifications envisagées par le Parquet (« injure publique en raison du genre », « provocation publique à la discrimination » et « injure publique en raison de l’origine » sont susceptibles d’être constituées dans les tweets d’anonymes, sous réserve de consultation de ceux-ci. Elles ne le sont pas dans ceux d’Elon Musk ou de J.K Rowling, le fait de soutenir qu’Imane KHELIF serait un homme n’étant pas injurieux aux sens du droit français. (S’il avait été prétendu qu’Imane KHELIF a triché, cela aurait été potentiellement diffamatoire, étant précisé que l’injure et la diffamation sont deux infractions différentes).

 

  • Pour être complet sur les peines encourues :

 

  • Injure publique en raison du genre  ou de l’origine : 6 mois de prison et 22.500 euros d’amende (article 33 alinéa 3 (origine) et 4 (genre) de la Loi de juillet 1881 sur la liberté de la Presse)
  • Provocation publique à la discrimination :un an de prison et 45.000 euros d’amende (article 24 de la Loi de juillet 1881 sur la liberté de la Presse)

Voir ci-dessus sur la notion de peine encourue

 

  • En tout état de cause, il est extrêmement improbable que J.K ROWLING et Elon MUSK soient condamnés, et même soient convoqués devant le Tribunal à la demande du procureur. Au-delà du fait que les « injure publique en raison du genre », « provocation publique à la discrimination » et « injure publique en raison de l’origine » ne paraissent pas constituées les poursuites se heurteront à un obstacle infranchissable. Les tribunaux français sont tous simplement incompétent en l’espèce. Conformément à l’article 113-2-2 du Code pénal « Tout crime ou tout délit réalisé au moyen d’un réseau de communication électronique, lorsqu’il est tenté ou commis au préjudice d’une personne physique résidant sur le territoire de la République ou d’une personne morale dont le siège se situe sur le territoire de la République, est réputé commis sur le territoire de la République.». En l’espèce, les tweets de J.K ROWLING et Elon MUSK sont émis depuis l’étranger. Pour que les juridictions françaises soient compétentes, il aurait fallu qu’Imane KHELIF réside en France, ce qui ne semble pas être le cas (Pour être complet sur ce point, le fait que les propos soient accessibles en France ne caractérise pas la compétence des juridictions françaises :  En l’absence de tout critère rattachant au territoire de la République les propos incriminés, la circonstance que ceux-ci, du fait de leur diffusion sur le réseau internet, aient été accessibles depuis ledit territoire ne caractérisait pas, à elle seule, un acte de publication sur ce territoire rendant le juge français compétent pour en connaître. Arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2016 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000032900131/)

 

  • Pour être tout à fait complet sur la compétence des Tribunaux français : l’intérêt de la notion de « cyberharcèlement », pour Imane KHELIF, est de tenter de mêler les actes de J.K ROWLING et Elon MUSK en des comportement « répétés » (au sens de l’article 222-33-2 alinéa b, voir ci-dessus) avec ceux des tweetos français, pour en faire une infraction globale permettant de poursuivre tout le monde. C’est extrêmement tiré par les cheveux.

 

  • En l’absence probable de poursuite effective par la Parquet de J.K ROWLING et d’Elon MUSK (c’est-à-dire de convocation devant le Tribunal, et non simplement d’enquête), la seule possibilité pour Imane KHELIF de les forcer à comparaitre serait de les faire citer directement devant le Tribunal. Pour toutes les raisons évoquées plus haut, il serait improbable qu’une telle démarche aboutisse à une condamnation.

 

En définitive, il est possible que l’enquête en cours aboutisse à la poursuite de quelques auteurs anonymes des tweets les plus virulents.  En cas de condamnation, les qualifications d’« injure publique en raison du genre, provocation publique à la discrimination et injure publique en raison de l’origine » sont probablement plus pertinentes que celle de cyberharcèlement. En revanche, la plainte, en tant qu’elle vise J.K ROWLING et Elon MUSK, paraît peu susceptible de prospérer.

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Alexandre-M. BRAUN reçoit à son cabinet, sur rendez-vous uniquement. Il est joignable, de préférence, par le biais du formulaire.